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Le jardin de Minerve
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  • Quand la géopolitique et la stratégie militaire sont vues avec les yeux d'une femme... J'ai 20 ans d'expérience professionnelle dans ces domaines et un doctorat sur les conflits asymétriques. Libre utilisation des informations mais citez ce blog.
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31 janvier 2019

LA GUERRE JUSTE

Les théologiens se sont penchés depuis les débuts sur la question de la non-violence du Christ et de la nécessité de défendre l’unité politique et depuis toujours l’Homme a essayé de donner une valeur éthique à la guerre et au métier des armes.

Dans l’éthique chrétienne, la violence est condamnée ainsi que la guerre : la paix est un acte de vertu et donc la guerre est un péché car elle est contraire à la paix et donc à la vertu. Cependant, comme le reconnaissait Origène, vu que la majorité des sujets se convertissant progressivement au christianisme, il fallait bien défendre l'Empire menacé par les Barbares et donc les évêques autorisèrent officiellement les chrétiens à servir dans les armées.

Ambroise de Milan est le premier à rédiger un traité de morale chrétienne. Ouvertement disciple de Cicéron, il intitule son traité De Officiis et il s’adresse aux prêtres, magistrats de l'Église. Il n'apporte d'ailleurs aucune nouveauté à la doctrine de la guerre juste de Cicéron, mais il tente de la justifier à l'aide d'arguments évangéliques. Il récuse ainsi le droit à la légitime défense et fonde le droit à partir en guerre sur le devoir de secourir son prochain.

Saint Augustin était très lié à Saint Ambroise et dans ses ouvrages il poursuit la réflexion sur l’éthique chrétienne et la guerre. Sur un plan juridique, il affirme la rectitude morale du principe qui permet la condamnation à mort par le magistrat (même si à chaque occasion il a intercédé auprès des autorités séculières en faveur des condamnés afin d'obtenir leur grâce). De ce principe, il découle que le soldat qui tue l'ennemi est comme le juge et le bourreau qui exécutent un criminel. Vu que c’est la loi qui justifie leurs actes, il n’y a pas de péché, car la loi existe pour la défense du peuple et pour sauvegarder des intérêts supérieurs.

Si Saint Augustin n'admet pas l'autodéfense personnelle car le chrétien doit accepter de se laisser tuer plutôt que de tuer son assaillant, il considère que la défense de l'autre, et notamment du faible (la veuve, l'orphelin, le vieillard) est possible et nécessaire. Sur ce point, il rejoint Saint Ambroise qui, dans le De Officis, il affirme que il y a deux manières de pécher contre la justice ; l'une, c'est de commettre un acte injuste ; l'autre, de ne pas défendre une victime contre un injuste agresseur.

Dans le cas de la guerre, et donc de la violence collective, considère que ce qui est important ce sont les causes qui les font entreprendre et ceux qui en sont les auteurs car le fin est de rétablir l’ordre qui a été troublé par un crime contre Dieu ou les Hommes.

Au 12ème siècle, Saint Bernard justifie les croisades comme un « malicide » et le fait de tuer le mal, c’est-à-dire les musulmans, était juste et bien (« Le soldat de Jésus-Christ tue donc avec sécurité et il meurt avec plus de sécurité encore quand il ôte la vie d'un méchant, il n'est pas homicide, mais « malicide », il est le vengeur du Christ sur ceux qui agissent mal et le défenseur des chrétiens » cit. De laude novae militie).

Au 13ème siècle, Saint Thomas, dans la Somme théologique, justifie la guerre en exigeant trois conditions : la guerre ne peut relever que de la puissance publique sinon elle est un crime (auctoritas principis); la cause juste (cause juste), mais c’est difficile de définir de façon objective cette notion et le fait que l'intention est de faire triompher le bien commun et rien d’autre (intentio recta).

Enfin, au XVIe siècle, Francisco de Vitoria prolonge cette pensée en donnant au prince le droit naturel de défendre l’univers contre l’injustice et lui permettant donc d’intervenir s’il est avéré que des sujets souffrent des injustices de leur roi.

Or, si le iustum bellum est la guerre justifié par la morale car son objectif est la paix et la justice, le bellum justum a une notion plus juridique lié au rétablissement d’un ordre supérieur.

Au demeurant, la tradition occidentale s’est efforcée de donner une construction juridique à la guerre en élaborant une doctrine de la guerre juste fin de rendre compatibles la force et le droiti. En conformité avec ces prémisses, la guerre fut perçue comme une juste réponse à l’agression non provoquée et plus généralement comme le moyen ultime de poursuite d’un droit violé ou de sanction. Les causes matérielles de juste guerre s’articulent en conséquence autour de quatre catégories : défense, reprise d’un bien, poursuite d’une créance et châtiment. Dans ces conditions l’action de guerre entreprise par un sujet est légale si elle est juste ; elle est juste si elle repose sur les causes et tend à la réalisation des finalités indiquées.

Enfin, il faut distinguer deux types d’ennemis (hostis) : l’ennemi qui est comme nous et l’ennemi qui est différent de nous. Platon déjà appelait les Grecs à la modération au cours de leurs luttes entre les polys tandis que, pour ce qui concerne les Barbares, ennemis par nature des Grecs, la guerre menée contre eux était naturelle et n'appelait aucune modération particulière.

Pour le Romain, le latrociunium (c’est-à-dire la guerre qui n’était pas précédé par une déclaration de guerre) justifiait l’extermination de l’adversaire. En effet, au moyen-âge ce terme indiquait la guerre sans juste cause ou la piraterie, c’est-à-dire ce qu’aujourd’hui on définit comme terrorisme, guérilla et subversion. Dans ce cas aussi, la guerre pour contrer ce phénomène est considérée comme une guerre juste et comme un « malicide ».

Ainsi, les temperamenta belli (restrictions à l’action guerrière) grotiens ne s’appliquent qu’au sujet recourant à la guerre pour une juste cause et ils garantissent un meilleur épanouissement de la juste cause en veillant qu’elle ne soit pas outrepassée. L’adversaire, n’ayant pas de juste cause de guerre n’a pas de droits; c’est simplement un criminel sujet à exécution. Aussi on n’a pas non plus des limites juridiques à la conduite des hostilités.

Tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, la doctrine de la guerre juste perdit du terrain au profit de la compétence discrétionnaire de faire la guerre et à l’usage de celle-ci comme moyen de haute politique nationale suite à la création de l’Etat-nation (Bodin), de la théorie du léviathan (Hobbes) et du contrat social (Rousseau) et du développement de la notion de la raison d’État.

Cette conception de la guerre s’impose définitivement au XIXe siècle et s’accompagne de l’effritement de la conception de la guerre comme action juste pour restaurer l’ordre. À sa place prévalut une conception de la guerre comme situation de fait intellectuellement neutre.

Désormais, ce n’est plus la légitimité subjective de procéder à la guerre qui est au cœur des préoccupations juridiques, mais en bonne logique les droits et devoirs régissant les hostilités en tant que fait, c’est-à-dire les droits et devoirs durante bello. En d’autres termes, d’un système axé sur la licéité matérielle de la guerre (guerre-sanction), on est allé vers un système axé sur sa régularité formelle (réglementation de l’ouverture et des effets de la guerre).

S’ouvre alors la voie pour un ius in bello au sens moderne, même si les termes latins ius belli ou iura belli semblent dériver du terme grec oi tou polemou nomoi utilisé par Polybe.

Cette évolution, amorcée déjà chez Vitoria, qui distingue les motifs de guerre licites des justes limites du droit de guerre, est promue par Wolff qui, le premier, émancipe les droits et obligations durante bello de la cause de guerre sous-jacente et, ensuite, par Vattel qui ancre dans le droit des gens une série de règles fixant des limites aux moyens licites de guerre. Désormais, l’époque du bellum justum est révolue et est le début de celle du liberium jus ad bellum, où les Etats mènent indépendamment leur politique, tant intérieure qu’extérieure. En effet, c’est le fait que l’Etat-nation est souverain qui fait que seul l’Etat-nation est l’unité politique, c’est-à-dire celui qui détermine l’hostis et la justesse et la justice de la cause qu’il a de faire la guerre.

En conclusion, si toutes les capacités peuvent être utilisées contre l’hostis qui mène le latrocinium, des limites s’imposent vis-à-vis des autres ennemis. A partir ce constat, au XIX siècle on développe le corpus du Droit de la guerre, qui agit sur la possibilité et la volonté d’utiliser toutes les capacités pour vaincre contre l’hostis et donc étendre son pouvoir sur lui.

Néanmoins, il est judicieux de rappeler les mots du Lieutenant Général Lomov de l’armée de l’Air soviétique qui, dans les années 1950, il affirme que pour vaincre la puissance sur un plan de capacités est importante, mais sans le support de la volonté de victoire à tout prix de la Nation cette puissance ne sert pas à grand-chose.

 

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