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Le jardin de Minerve
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  • Quand la géopolitique et la stratégie militaire sont vues avec les yeux d'une femme... J'ai 20 ans d'expérience professionnelle dans ces domaines et un doctorat sur les conflits asymétriques. Libre utilisation des informations mais citez ce blog.
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15 février 2019

LES CONFLITS ASYMETRIQUES DANS LA VISION AMERICAINES DES ANNEES 2000

Un document de prospective de la Defense Intelligence Agency[1] identifie les opposants aux Etats-Unis comme des menaces existantes et émergentes. A ce titre, les transitions en cours en Russie et en Chine, la prolifération des armes de destruction massive et le développement d'autres puissances régionales sont considérés comme des défis pour le futur des Etats-Unis. Par ailleurs, les Etats-Unis craignent une confrontation liée à des dangers transnationaux, tels que le terrorisme, le trafic de drogue, et le crime organisé. A la différence du passé, ces nouveaux défis n’auront plus une connotation exclusivement militaire[2].

Dans les prochains paragraphes, nous étudierons les deux faces de l’asymétrie pour les Américains : l’asymétrie négative[3], c’est-à-dire lorsque face à leur puissance, leurs adversaires cherchent à les surprendre en utilisant leurs faiblesses, et l’asymétrie positive[4], quand les américains déploient leur puissance technologique face à leurs adversaires.

L’asymétrie négative

Face à la puissance militaire américaine, les autres acteurs internationaux, et surtout les trublions, ne pourront que recourir à des stratégies asymétriques et asynchrones[5].

En effet, le DoD[6] voit le conflit asymétrique dans une optique essentiellement offensive ou négative contre les intérêts vitaux des États-Unis[7], définis en cinq catégories principales : l’autodétermination et la volonté de la population américaine, la liberté d’accès aux informations et de mouvement de la population, la sécurité des citoyens américains (militaires ou non), la possibilité de créer et développer la richesse économique et l’intégrité du territoire national[8]. Le Joint Warfighting Center[9] assimile les opérations asymétriques[10] négatives aux «Military Operations Other Than War»[11] (MOOTW)[12], et dans ce cas, l’offensive asymétrique devient une variété de stratégie d’action du conflit à basse intensité qui permet d’obtenir des résultats disproportionnés par rapport aux moyens utilisés[13]. Pour cette raison, il est clair que l’action terroriste reste la forme de manœuvre offensive la plus efficace dans un contexte de conflit asymétrique[14].

L’asymétrie négative est perçue comme le danger le plus sérieux vis-à-vis de la sécurité des États-Unis, parce que l’impact psychologique d’une attaque peut peser plus lourd que les dommages causés par l’attaque elle-même[15], surtout sur un plan politique et notamment électoral [16]. Nous pouvons ici remarquer le caractère prophétique de cette affirmation par rapport à l’attaque terroriste du 11 septembre 2001.

Au demeurant, bien que l’analyse du conflit asymétrique du DoD mette l’accent sur les opérations offensives de type asymétrique ou «asymétrie négative», il ne faut pas sous-estimer par ailleurs la réponse technologique aux menaces qui comporte une asymétrie en leur faveur, appelée «asymétrie positive».

L’asymétrie positive

D’un point de vue historique, face aux défis militaires et non-militaires de niveau stratégique, la réponse des États-Unis reste essentiellement technologique et donc en continuité avec la position officielle affichée dès la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Dans certains documents du State Department[17], datés des années 1946-1948, on peut lire que, la réponse américaine à l’expansionnisme soviétique consiste dans l’acquisition et le maintien d’une supériorité sur les plans politique et technologique[18], en excluant tout objectif d’expansion territoriale[19]. Le document Joint Vision 2020 affiche la même position : cette fois-ci, c’est le Department of Defense[20] qui met l’accent sur l’importance de la technologie pour maîtriser tout le spectre des opérations militaires (full spectrum dominance). En particulier, les Etats-Unis affichent clairement l’objectif d’obtenir et de garder une supériorité dans le domaine de la manœuvre, de la précision dans l’engagement, de l’efficacité de la logistique et de la protection des forces déployées sur toutes les dimensions des opérations militaires[21]. En d’autres termes, nous pouvons dire que les États-Unis sont convaincus que leur avantage sur leurs opposants vient d’une supériorité dans l’efficacité de la conduite du conflit, acquise grâce à une utilisation massive des technologies de pointe dans le cadre des projections de puissance et de gestion des informations[22].

En effet, les États-Unis considèrent qu'un recours massif aux technologies change le concept d’emploi des forces. Par conséquent, face à un adversaire technologiquement moins avancé, ils ne mettent pas en œuvre les mêmes moyens de la même façon, ils ont une supériorité technologique qui leur permet de gagner un avantage de temps et d’espace sur l’adversaire afin d’acquérir et maintenir l’initiative de l’action[23]. Il s’agit là aussi d’une forme d’asymétrie[24].

Pour le DoD, un conflit est asymétrique quand deux belligérants font un large usage de l’effet de surprise, utilisent les armes d’une façon non conventionnelle ou transforment en arme des outils qui a priori ne le sont pas[25]. L’utilisation d’avions civils contre des bâtiments ou le fait de mettre des spores d’une bactérie dans des enveloppes sont des exemples d’actions offensives asymétriques.

Pour conclure ce paragraphe, il nous paraît important de rappeler que les notions militaires sont aussi des notions culturelles et donc liées en partie à la langue. A titre d’exemple, l’adjectif «asymétrique» ne signifie pas la même chose pour les anglo-saxons et pour les latins. Dans les langues latines, il existe le mot «dissymétrie», qui fait aussi référence à une absence de symétrie. Dans le paragraphe suivant, nous étudierons la vision française des conflits asymétriques, justement fondée sur la dichotomie entre «asymétrie» et «dissymétrie».



[1] La Defense Intelligence Agency a les mêmes missions que la Direction du Renseignement Militaire en France.

[2] Thomas R. Wilson (vice-Admiral, Director Defense Intelligence Agency), Military Threats and Security Challenges through 2015, Statement for the Record, Senate Armed Service Committee, Washington DC, USA, 3 février 2000.

[3] En anglais «negative asymmetry».

[4] En anglais «positive asymmetry».

[5] « We have superior conventional warfighting capabilities and effective nuclear deterrence today, but this favorable military balance is not static. In the face of such strong capabilities, the appeal of asymmetric approaches and the focus on the development of niche capabilities will increase ». (Aujourd’hui, nous avons acquis une supériorité dans les capacités de combat conventionnel et nous avons une dissuasion efficace, mais cette balance militaire favorable n’est pas statique. Face à des capacités si fortes, l’utilisation d’approches asymétriques et la concentration sur l’acquisition d’une supériorité dans des domaines très spécifiques augmentera [traduction de l’auteur]). Joint Chiefs of Staff Office, Joint Vision 2020, US Government Printing Office, Washington DC, USA, 2000, p. 4.

[6] Department of Defense. Le ministère de la défense des Etats-Unis.

[7] Joint Strategic Review, CJCS, Washington DC, USA, 1999.

[8] Ibidem.

[9] IL s’agit d’un centre de réflexion stratégique du DoD. L’organisation de la défense américaine est constituée par une nébuleuse de plusieurs entités, parfois difficiles à situer.

[10] « Asymmetric operations » dans le texte originel.

[11] Il s’agit d’opérations militaires qui entrent dans le domaine du rétablissement de la paix et du maintien de la paix dans des territoires où les États-nation ont échoué dans leurs missions. Dans la majorité des cas, on utilise l’acronyme MOOTW ou OOTW. Pour plus d’informations on peut se référer au Glossaire.

[12] Joint Warfighting Center, Joint Command and Control Doctrine Study, USA, 1 février 1999.

[13] Jim Garamone, Intel Chief Adresses Longer-Range Threats to US, American Forces Press Service, Washington DC, USA, 6 mars 2001. Pour plus d’information voir la page Internet :

http ://www.defenselink.mil/news/Mar2001/n03062001_200103061.html.

[14] «[...] International terrorism will remain a transnational problem but will mainly be a factor at the lower end of the conflict spectrum [...]» (Le terrorisme international restera un problème transnational, mais il sera principalement dans la partie basse du spectre du conflit [traduction de l’auteur]. Patrick M. Hughes, Director, Defense Intelligence Agency, A DIA Global Security Assessment, Senate Armed Service Committee, Washington DC, USA, 6 février 1997.

[15] « The potential of such asymmetric approaches is perhaps the most serious danger the United States faces in the immediate future  […] the psychological impact of an attack might far outweigh the actual physical damage inflicted. » Joint Chiefs of Staff Office, Joint Vision 2020, US Government Printing Office, Washington DC, USA, 2000, p. 4.

[16] Patrick M. Hughes, Director, Defense Intelligence Agency, A DIA Global Security Assessment, Senate Armed Service Committee, Washington DC, USA, 6 février 1997.

[17] Le State Department est l’équivalent du Ministère des Affaires Etrangers.

[18] Un historique plus détaillé de l'Advanced Research Project Agency est disponible sur son site Internet http ://www.darpa.mil. Cette agence a été établie dans les années 1960 dans le but d’acquérir et de maintenir une avance technologique des États-Unis sur les autres pays du monde.

[19] Memorandum prepared in the Departement of State, Secret (de-classifié), Foreign Policy of the United States. Foundamentals, Washington, December 1, 1945.

[20] Le Department of Defense est l’équivalent du Ministère de la Défense.

[21] Joint Chiefs of Staff Office, Joint Vision 2020, US Government Printing Office, Washington DC, USA, 2000.

[22] Joint Chiefs of Staff Office, Joint Vision 2020, US Government Printing Office, Washington DC, USA, 2000.

[23] Voir le site Internet de la Defense Advanced Project Agency, www.darpa.mil, concernant la description de l’agence.

[24] Steven Metz, Strategic Asymmetry, Military Review. Professional Journal of the United States Army, US Army Command and General Staff College, Fort Leavenworth, USA, juillet-août 2001, pp.23-31

[25] Il s’agit d’un résumé des visions sur le conflit asymétrique que l’on peut trouver dans les ouvrages suivants : Institute of Strategic Studies, 1998 Strategic Assessment, National Defense University, Washington DC, USA, 1998 ; Thomas R. Wilson (vice-Admiral, Director Defense Intelligence Agency), Military Threats and Security Challenges through 2015, Statement for the Record, Senate Armed Service Committee, Washington DC, USA, 3 février 2000 et Joint Chiefs of Staff Office, Joint Vision 2020, US Government Printing Office, Washington DC, USA, 2000.

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