La maîtrise à travers l’espace

On a vu que la maîtrise à travers l’espace signifie avoir un avantage stratégique dans un ou plusieurs domaines liés à la maîtrise des informations sur l’adversaire du point de vue politique, économique et militaire.

Avoir la maîtrise de l’information signifie avoir une vision la plus juste possible de la réalité et éloigner celle de l’adversaire. Sun Tsu dit que si l’on se connaît soi même et si l’on connaît son adversaire, il ne faut pas craindre le résultat de cent batailles. Si l’on ne se connaît que soi même, alors les résultats seront alternés. Mais, si on ne connaît ni l’un ni l’autre alors on ne pourra que perdre. Ce qui dit Sun Tsu est vrai à la fois dans les domaines militaire, civil et commercial.

L’espace est un outil qui améliore les possibilités de gérer les informations d’une façon efficace. En termes militaires, il permet d’avoir un circuit OODA ( Observe Oriente Decide and Act ) plus rapide et plus efficient. En tous cas, comme il existe aussi d’autres technologies qui permettent d’améliorer la maîtrise de l’information, il est important de se rappeler que la technologie spatiale est seulement un primus inter pares.

Les possibilités offertes par les systèmes spatiaux sont exploitables dans toutes les dimensions des activités humaines, parce qu’ils permettent une transmission en temps réel des informations quel que soit le terrain. Ils permettent d’avoir une vision globale de la situation au sol et ne sont pas des moyens intrusifs pour la souveraineté nationale.

L’objectif de ce paragraphe est d’étudier l’influence et l’importance des technologies spatiales sur les différentes dimensions des activités humaines ayant un rôle politique ou stratégique.

Découvrir et gérer les ressources naturelles terrestres 

Certaines régions de la terre sont plus riches que d’autres en termes de ressources naturelles : présence des minéraux, fertilité du terrain, facilité de transport etc.

D’un point de vue de politique intérieure, il faut connaître son territoire pour mieux le gérer, et d’une prospective adverse, il est intéressant de savoir quelles sont les potentialités économiques sur le plan des ressources naturelles. Pour atteindre cet objectif, on peut utiliser plusieurs moyens dont la télédétection spatiale. La mission de ces satellites est non seulement d’étudier les cultures agricoles et les forêts, mais aussi de chercher à découvrir la présence des matières premières. Pour réussir cette mission, il faut plusieurs types de technologies de télédétection :

¨       l’imagerie optique et multispectrale ( baisse et haute résolution ) pour quantifier l’extension, déterminer le type de cultures agricoles, leur taux de croissance, prévoir les récoltes et analyser les processus de désertification et déforestation ;

¨       l’imagerie multispectrale afin de découvrir la présence des composants géologiques qui caractérisent un terrain riche en matières premières ;

¨       l’imagerie radar pour avoir connaissance de la structure du sol et évaluer les processus de déforestation et désertification ;

¨       l’imagerie SAR ( Syntetic Aperture Radar ) pour être utilisée dans la recherche des matières premières, bien que le lidar soit plus efficace ;

Une fois identifiés les cultures et les terrains, il faut connaître leurs positions exactes afin de pouvoir profiter de leurs richesses ou de résoudre leurs problèmes. Pour cette raison, dans le domaine de la maîtrise des ressources naturelles, les satellites de navigation jouent un rôle important.

Même la Commission Européenne n’hésite pas à utiliser le support de Spot ou Landsat. pour la gestion du patrimoine agricole européen.

D’un point de vue stratégique, ne pas posséder de satellites implique que, toutes les fois qu’on demande de l’imagerie spatiale, on communique au fournisseur des services quels sont nos intérêts. Aujourd’hui, la situation est entrain d’évoluer d’une condition de monopole à celle d’oligopole dans laquelle il devient de plus en plus facile d’accéder aux services spatiaux de façon continue. Par conséquent, si l’on multiplie les fournisseurs, ils ne pourront jamais obtenir une vue globale des nos intérêts.

La connaissance des ressources économiques d’un pays ou d’une région du monde

Connaître les activités économiques d’un pays est très important : cela permet d’estimer sa richesse, de connaître le type de ses entreprises dominantes et d’établir des études de prospective sur ses capacités technologiques. En pratique, il est possible de faire de l’intelligence économique et stratégique grâce à la technologie spatiale. Mais, d’un point de vue de politique intérieure, en général, il est plus simple et moins onéreux d’utiliser des avions de reconnaissance ou d’envoyer des fonctionnaires sur place. Pour cette raison, la technologie spatiale n’est pas très développée sauf dans des cas bien précis de terrains particulièrement abrupts ou très étendus.

D’un point de vue de la technologie spatiale, on utilise essentiellement des outils de télédétection, et en particulier l’IMINT ( Imagery Intelligence ) et le SIGINT ( Signal Intelligence ).

L’IMINT permet de voir les complexes industriels et les ressources agricoles. Si la résolution est suffisante, il est possible de voir non seulement les sites mais aussi, par des observations répétées, quels sont leur niveau de production. Des cas concrets existent. Pendant la Guerre Froide, les Etats-Unis utilisaient l’IMINT spatiale pour connaître le potentiel industriel de l’URSS ainsi que son niveau de production de matériel militaire. A la fin de cette période, ces techniques ont été mises au service des entreprises nationales comme outils pour acquérir un avantage stratégique au niveau économique, commercial et concurrentiel.

Une autre façon de recueillir les informations de nature économique et industrielle est à travers le SIGINT ( Signal Intelligence ). On intercepte tous les signaux non visibles du spectre électromagnétique. Cette activité peut être faite grâce à plusieurs types de technologies, dont les systèmes spatiaux. Pendant la Guerre Froide, américains et soviétiques ont beaucoup utilisé ces technologies. Maintenant aussi, dans ce domaine, l’effort s’est déplacé vers la récolte d’informations de nature plus économique que militaire. Comme dans la gestion d’une activité économique, les communications sont importantes et passent très souvent sur des réseaux non sécurisés. Ainsi, leur interception est plus facile que celles des militaires.

L’architecture ECHELON, née du traité UK-USA du 1946, est l’exemple le plus significatif. Cet accord représente une volonté de coopération entre les Etats-Unis, le Canada, le Royaume Uni, l’Australie et la Nouvelle Zélande pour partager les données dérivant d’un réseau d’écoute électronique au niveau mondial. Pendant la Guerre Froide, ce réseau a été utilisé surtout pour trouver les sites de commandement du Pacte de Varsovie et des pays du COMECON et écouter leurs communications. Maintenant, comme les intérêts économiques ont pris un rôle primordial sur l’échiquier international, ce réseau a évolué vers des objectifs de suprématie économique. La raison pour laquelle cet exemple est significatif vient du fait de la présence et de l’importance du segment spatial au sein de cette architecture.

En même temps, il faut éviter que l’adversaire puisse faire la même chose. C’est pourquoi il est important de protéger ses données économiques en étant attentif aux moyens de communication qu’on utilise. En effet, seuls les Etats-Unis et la Russie ont actuellement des moyens spatiaux de SIGINT. Mais les autres technologies de SIGINT, comme par exemple les antennes basées au sol ou embarquées sur des bateaux, bien que limitées géographiquement, sont tout aussi efficaces.

Avoir des capacités de détection de satellites est très important pour se protéger des activités de l’IMINT. En effet, si l’on sait à quel moment le satellite nous survole, les activités de déception seront plus efficaces. Au contraire, comme le SIGINT spatial est fait par des satellites à très haute altitude, toute action de déception est inutile. Pour cette raison, il vaut mieux être prudent quand on utilise des moyens de communication.

En conclusion, la technologie spatiale est un outil qui est entrain de devenir de plus en plus courant en matière d’intelligence économique et stratégique, c’est à dire de sortir des limites traditionnelles du renseignement.

Les télécommunications et la navigation

L’emprise dans le domaine des télécommunications implique une maîtrise du spectre électromagnétique, et cela engage aussi le contrôle sur tous les signaux : Electronic Support Measures ( ESM ), Electronic Counter-Measures ( ECM ), Electronic Counter-Counter Measures ( ECCM ).

Le domaine de la gestion des signaux est un domaine très vaste qui inclut non seulement les télécommunications mais aussi le positionnement et la connaissance précise du temps. Communiquer comme connaître sa propre position est un besoin primaire pour les individus. Les satellites de télécommunication permettent de transmettre des messages, sous forme d’images ou sons, en temps réel, sans limitation de distance et de terrain et avec une infrastructure minimale. Les satellites de navigation, vue leur position très élevée, ont l’avantage de pouvoir être vus partout sur le globe. En pratique, il s’agit de repères, virtuellement omniprésents. Les russes n’ayant pas les ressources pour rénover leur système, le Global Positioning System est désormais en position de monopole sur le marché de la navigation par satellite. Pour cette raison, l’Europe est entrain de chercher à se doter de moyens pour acquérir une indépendance avec le programme Galileo.

En effet, comme il y a plusieurs prestataires d’œuvre, on peut accéder aux services de télécommunications de plusieurs façons et même grâce à la location des transpondeurs. Par conséquent, pour maîtriser le domaine des télécommunications, il n’est pas strictement nécessaire de dominer les technologies de construction et de mise en orbite des satellites, mais il est indispensable de posséder la meilleure position sur l’orbite préférée ( géostationnaire ) ainsi que les fréquences pour répondre aux besoins et fournir le service demandé. Cela permet non seulement d’acquérir un pouvoir économique mais aussi politique. A ce sujet, l’exemple de l’île de Tonga est intéressant : elle est considérée comme une puissance spatiale seulement par le fait qu’elle possède et loue des slots en orbite géostationnaire.

Le domaine militaire

Maîtriser le théâtre d’opérations signifie acquérir et maintenir l’initiative de l’action sur les forces adverses. Pour atteindre cet objectif, il faut non seulement connaître ses forces et leurs besoins autant que ceux de l’adversaire ainsi que ses intentions.

L’espace peut être considéré comme un multiplicateur des forces, parce qu’il permet de réduire l’effet surprise et d’avoir un circuit OODA dans des temps très réduits. Cela est possible si :

• Les cartes du terrain de manœuvre sont très récentes et détaillées ;
• Les outils d’observation ont la possibilité offrir une résolution maximale comme outil tactique et une résolution mineure comme outil opératif et stratégique dans des délais les plus courts ;
• Les signaux de transmission sont cryptés afin de réduire la possibilité de donner involontairement des informations aux personnes non autorisées ;
• Les états majors savent exactement localiser les troupes amies et ennemies à tous moments des opérations ;
• Les composants de l’architecture des systèmes spatiaux doivent être durcis et redondants, c’est à dire capable de réduire l’effet d’attaques possibles ;
• Les autorités gouvernementales et les états majors doivent être informés du survol de leur territoire par des satellites d’autres nations. Non seulement, il faut être capable de les identifier, de les poursuivre mais aussi de les mettre hors service en cas de nécessité. Le Space Detection and Tracking System de l’United States Space Command, et le réseau russe basé sur les navires de classe Gagarin sont des exemples d’architectures de détection satellitaire. Le programme Bold Orion, le MIRACL ( Mid Infrared Advanced Chemical Laser ) des Etats Unis, les lasers de la base de Shari Shagan et les systèmes co-orbitaux soviétiques sont des exemples de systèmes antisatellites ;

Au demeurant, la maîtrise de l’information au niveau militaire passe par la maîtrise de l’espace, mais l’inverse n’est pas vrai.

Dans le prochain chapitre on analysera quel est le rôle de la maîtrise de l’espace vis à vis des nouveaux acteurs de la politique internationale qui se caractérisent par à des logiques globales et de réseaux. L’espace permet d’avoir une vision générale. Pour cette raison, il se positionne comme un outil de plus en plus nécessaire afin de déceler et contrôler les nouveaux acteurs internationaux, mais aussi comme un outil au service de ces acteurs.